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 Article du Moustique Magazine

 
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Nus des heures durant, ils tiennent la pose pour l’amour de l’art, payer leur loyer ou vaincre leur pudeur. Rencontres et esquisses d’une profession.

Dans les académies, ateliers d’artistes ou autres cours de dessin, les modèles vivants présentent patiemment leur corps. À la fois muses et objets, leur travail consiste à répondre aux besoins des artistes mais aussi à stimuler leur créativité. Quant à leurs motivations, entre petit job précaire ou amour de la vie dévêtue, les profils divergent. Il y est pourtant systématiquement question d’acceptation de son corps, dont l’activité de modèle est tantôt la cause, tantôt la conséquence. Et malgré leurs différences, tous s’accordent sur le fait qu’il s’agit d’un vrai métier, avec ses peines et ses joies.

Jean, un loisir rémunéré

Les poses doivent suggérer le mouvement, mais on est immobile. Dans la formation artistique, les modèles vivants sont essentiels. Les croquer est l’exercice de base qui permet d’étudier l’anatomie, les proportions, les ombres des corps. Lorsque Jean s’est déshabillé pour la première fois devant des artistes, il y a 31 ans, il était très mince. “Ça faisait de moi un modèle intéressant, on distinguait bien mes muscles et mes os.” Il serait tentant de penser que les qualités d’un modèle s’arrêtent là: avoir un corps qui vaut le coup de pinceau. Sauf qu’il faut savoir quoi en faire. “Les poses doivent être vivantes, suggérer un mouvement, alors qu’on est immobile pour plusieurs minutes.” Toute la difficulté de la profession réside dans la capacité à proposer ces postures et les assumer dans la durée. Une pose trop ambitieuse ou tenue trop longtemps peut provoquer des blessures.

Louis Van Ginneken

Cette première expérience, il y a trois décennies, était aussi effrayante que grisante. Jean devait d’abord affronter une grande timidité - “la pudeur liée à la nudité s’est évaporée, mais, du reste, ça ne m’a pas beaucoup aidé” - et surtout bousculer son quotidien de fonctionnaire. Il s’est ensuite livré jusqu’à trois fois par semaine. “Presque tout était payé au noir, et très mal d’ailleurs. Si j’avais pu gagner ma vie comme ça, je l’aurais fait sans hésiter.” En attendant, ces à-côtés sont les bienvenus, ils lui permettent d’aller en vacances un peu plus loin, un peu plus longtemps. “C’était un loisir rémunéré”, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui, deux à trois fois par mois.

Corinne, une petite entreprise

C’est un vrai métier, avec ses pénibilités et qui nécessite un cadre. Les débuts de Corinne, il y a quinze ans, se font dans un atelier de femmes. La pose y est un échange, son corps inspire celles qui le regardent et les œuvres la font se sentir belle. La nouvelle voie professionnelle qu’elle cherchait est trouvée. Mais l’état du métier est précaire. Elle se démène alors pour que l’Onem reconnaisse qu’il s’agit d’une activité artistique, afin de bénéficier du statut d’artiste. Après tout, elle est à la base de l’œuvre et propose des performances. Mais l’Office refuse, Corinne insiste. “J’aurais pu accepter la situation telle qu’elle était, mais alors je n’aurais rien prouvé. C’est un vrai métier, avec ses pénibilités et qui nécessite un cadre.” L’obstination paie et elle finit par obtenir ce statut qui lui assure plus de stabilité.

Louis Van Ginneken

Dans la foulée, Corinne crée l’ASBL “Croquez-nous”. Grâce à celle-ci, elle peut générer des contrats d’artistes, pour elle et d’autres modèles, à honoraires fixes et décents. Outre la sécurité, ce projet vise à rassembler des modèles aux univers différents, qui correspondent aux attentes variées des artistes. “L’association a sa propre démarche artistique. Elle propose des ateliers, des expositions, des marathons… L’initiative n’est plus chez les artistes, mais chez les modèles, eux aussi artistes. On a renversé la tendance et c’est unique.” Modèle vivant est aujourd’hui sa profession et, avec la gestion de l’ASBL, cela représente son activité à plein temps. “J’ai créé mon métier.

Naomi, oeuvre au noir

"Ce n’est pas par amour de l’art que je pose, j’ai besoin de payer un loyer.” Naomi a son franc-parler et ne s’embarrasse pas de réserves. “Je n’y avais jamais pensé, ça m’est tombé dessus et maintenant ça fait six ans que je pratique.” La jeune femme est une touche-à-tout, qui jongle entre les occupations: son contrat de dix heures par semaine dans une académie bruxelloise vient s’ajouter à un emploi de documentariste et des activités d’artiste visuelle, de poète, d’activiste, entre la Belgique et l’Angleterre.

Louis Van Ginneken

Sans attendre, la couleur de sa peau est nonchalamment abordée. Parce que la lumière s’y pose différemment que sur les corps blancs mais également parce que ce métier l’y réduit parfois. “C’est arrivé que l’on me parle de mon corps comme d’un exotisme, à la manière d’apprentis Gauguin découvrant les Polynésiennes.” Ou encore qu’on la prenne à partie dans un débat sur le Congo belge, tandis qu’elle pose. Mais dans la bulle des ateliers, peut également poindre un échange sur ces questions. Les passages de chansons et d’entretiens de Nina Simone lors d’une séance ont amené un dialogue constructif, une fois les pinceaux rangés. Bien que le modèle vivant n’ait jamais été une vocation, cela la nourrit. “Les échanges avec les artistes enrichissent ma propre réflexion artistique. Et puis, je suis payée pour m’arrêter de bouger, ce qui n’est pas plus mal pour quelqu’un d’hyperactif comme moi.

Nathalie, beau corps malade

Ceux qui la dessinent ne le remarquent pas toujours. Il arrive que ce ne soit qu’au moment de se rhabiller qu’elle le leur fait remarquer. Il y a dix ans, Nathalie a traversé un cancer du sein, sans possibilité de reconstruction. Depuis près de six ans, elle pose sous le nom d’Amazone, dévoilant fièrement son unique sein. Devenir modèle vivant n’a pas été une réaction immédiate à la mastectomie. Il a d’abord fallu passer par le long chemin qu’est l’acceptation de l’absence. Cela s’est fait par étapes, en commençant par apprendre à dessiner la beauté et la diversité des corps nus. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’elle passe de l’autre côté du chevalet. “Ce n’est pas la pose qui m’a aidée à m’accepter telle que je suis. Pour arriver à poser, je devais déjà aimer mon corps. Je n’aurais pu poser sans ça.

Louis Van Ginneken

Si cela peut la blesser, Nathalie comprend néanmoins “que des personnes ne veuillent pas être confrontées à la maladie dont parle mon corps”. Tous ceux qui la dépeignent ne le font pas de la même manière. “C’est intéressant de voir ce que les artistes ont fait de l’absence. Ont-ils embelli la blessure ou redessiné un sein?” C’est précisément pour ses caractéristiques physiques que le photographe Charles Lemaire a fait appel à Nathalie. Sa série Kintsugi est inspirée de la méthode japonaise de réparation des céramiques, qui peint les jointures d’or. Une façon de célébrer la beauté des cicatrices et la singularité des corps, plutôt que de les dissimuler.

Sébastien, plus qu’à poil

Mon atout, c’est que je corresponds au modèle standard. La vie, pour Sébastien, est plus belle à poil. Après des études de sociologie et quelques boulots alimentaires, il fait tomber chemise et cravate. Direction plein sud, vers la France, où il travaille six mois dans un camping naturiste. Désormais, lui qui n’était pas moins pudique qu’un autre n’est plus à l’aise qu’en tenue d’Adam. “J’y ai acquis une compétence, celle d’être désinhibé. Et on le sait, tout ce qui est rare est monnayable.” Son approche du monde du travail est pragmatique. “Gogo dancer, c’était pas mon truc. Alors j’ai essayé modèle.” Il dit avoir eu la chance de débarquer dans un secteur où manquent les hommes. “Mon atout, c’est que je corresponds au modèle standard.” En combinant toutes les astuces à sa disposition (prestation, petit contrat, bénévolat défrayé, non déclaré, etc.), Sébastien s’assure un salaire correct et des semaines complètes.

Louis Van Ginneken

Ce dont ces deux années dévêtues et cinq années de sociologie lui ont fait prendre conscience, c’est du rapport malade de notre société au corps et à la nudité. “Les standards de beauté véhiculent une image tronquée du corps humain et créent des mal-être chez une part significative de la population.” Passionné par ces questions, Sébastien rêve de poursuivre une thèse ayant la nudité comme thème et de développer des cours d’art-thérapie retravaillant la perception du corps. “Se voir à travers un dessin, c’est gratifiant et beaucoup plus sain.

Cet article est issu de notre magazine papier du 24/04/2019. Disponible en librairie.

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